عشق

Iran

* "amour" en Perse

" Je t'aime "
Quelques précisions sur cette langue

Le perse est une langue parlée par 120 millions de locuteurs aujourd’hui dans le monde. Langue officielle de l’Iran, elle est aussi parlée en Afghanistan (où il est le dari) et au Tadjikistan (tadjike). Il existe aussi des populations persanophones dans les différentes républiques d’Asie centrale à quoi il convient d’ajouter une diaspora importante et active aux États-Unis, au Canada, en Europe, etc.

Quelques références littéraires et cinématographiques

IRAN

Parler de l’Iran aujourd’hui s’avère délicat, tant les événements de ces dernières décennies ont contraint ce pays à l’isolement. Je ne suis jamais allée en Iran, à mon grand regret, j’ai pourtant longtemps rêvée durant mes études d’histoire de l’art, qu’un jour je découvrirais cet immense empire Perse qui, il y a 2500 ans s’étendait sur tout le Proche-Orient. Persépolis, le tombeau et le palais de Cyrus le Grand, les forteresses et les caravansérails des steppes désertiques, les vestiges de Suse, de Tchogha Zambil, du palais d’Ardashir à Firouzabad, Ispahan, étaient parmi les lieux que j’aurais tant aimé découvrir. Cependant, ce qui m’a probablement le plus fasciné dans l’étude de cette brillante civilisation c’est la découverte d’une peinture méconnue, celle des miniatures persanes. Les pages sablées d’or du roman de Mehr et Mochtari représentaient pour moi une qualité artistique et un raffinement extrême. Je feuilletais avec émerveillement les manuscrits provenant des grandes écoles de peinture de Chiraz et de Tabriz qui ont produit des chefs-d’œuvre inspirés par les grands classiques de la littérature persane, comme le « Shah Nameh » (Livre des Rois) ou « Khalila et Dimna ». Ces miniatures me racontaient des histoires fantastiques et, pour m’évader au mieux vers cet univers lointain et mystérieux, j’écoutais en boucle Shéhérazade de Rimsky-Korsakov, qui représentait pour moi la musique idéale pour voyager en rêvant jusqu’aux confins de cet Orient fabuleux. Mais j’arrête ici cette digression pour revenir à notre propos qui est le cinéma et la littérature.

CINÉMA

Les débuts du cinéma iranien, qui remontent à plus de cent ans, sont méconnus. À l’occasion de l’exposition universelle de 1900 le Shah Mozaffareddin voyage en Europe et découvre le cinéma. Fasciné par ce nouveau mode d’expression il achète un cinématographe Gaumont destiné à réaliser les premiers films iraniens. Téhéran compte plusieurs salles de cinéma dès la première décennie du XXè siècle où sont présentés des films muets. Les projections étaient réservées aux hommes ou aux femmes. À partir de 1928, il existe des salles mixtes, séparées par une travée centrale, et à partir de 1936 les salles seront communes aux deux sexes. Le premier film parlant iranien La Fille de la tribu de Lor d’Abdolhossein Sepenta (1907-1969) est tourné en Inde en 1932, le premier film parlant iranien tourné en Iran ne date que de 1947. Pendant douze ans (1936-1948) la production des fictions et des mélodrames chantés et dansés est en partie influencée par le cinéma égyptien et le cinéma indien. Tempête de la vie (1947) annonce un redémarrage de la production iranienne. À partir de 1949 Farrokh Gaffary (1921-2006), réalisateur, journaliste et assistant d’Henri Langlois à la cinémathèque française, est le premier à produire des films notables par rapport à la création de cette époque. Il est aussi à l’initiative de la création d’un ciné-club, d’une cinémathèque à Téhéran et des premiers festivals. Les premiers films (La Nuit du bossu, La Brique et le miroir, La Maison noire…) connaissent surtout un succès à l’étranger. Pendant vingt ans on suit l’émergence d’un « nouveau cinéma » avec des réalisateurs comme Darius Mesguich ou DarouschMehrjoui (la Vache, 1969).

De 1977 à 1979 les opposants islamiques au régime du Shah commencent par brûler puis détruire des salles de cinéma (182 salles seront fermées dont 33 à Téhéran), considérées comme des « lieux où l’on projette des films corrompus ». La révolution de février 1979 est suivie d’arrestation de cinéastes, d’acteurs, de producteurs, de comédiens etc., d’emprisonnement pour certains, d’interdiction de tournage pour d’autres…

Le cinéma de 1930 à 1979, plus couramment appelé « le cinéma d’avant la révolution », est apprécié des iraniens et les acteurs ou actrices de cette époque sont considérées comme des stars immortelles voire irremplaçables nous dit Javad Zeiny. Le cinéma occidental, en contradiction avec les valeurs islamistes, est banni. À partir de 1997, le nouveau président favorise des politiques culturelles plus tolérantes et le cinéma iranien accède cette même année à la consécration internationale avec le Goût de la cerise d’Abbas Kiarostami qui obtient la Palme d’or au festival de Cannes.

Le problème de la femme, au théâtre comme au cinéma, ne pouvant apparaître qu’avec un voile, aura pour conséquence de largement limiter la présence des personnages féminins. Après la révolution, le retrait total du sexe, de la violence et de la danse dans les films obligent les cinéastes à puiser leur inspiration ailleurs. À partir des années 1985-1990 une nouvelle génération de cinéastes constitue « le cinéma rénovateur ». Le plus connu d’entre eux est Mohsen Makhmalbaf. Plusieurs cinéastes anciens se sont exilés ou ont arrêtés de travailler. Parmi ceux qui ont réussi à continuer à faire des films, les plus connus sont Darush Mehrjui, Massoud Kimiaei et Abbas Kiarostami. À travers eux le cinéma iranien a atteint une dimension planétaire, et de nombreux festivals internationaux le font connaître ; cependant, l’essentiel de la production iranienne reste encore peu diffusé. La censure s’est durcie à partir de 2005, citons seulement le cas de Jafar Panahi (Le Ballon blanc, Le Miroir, Sang et or, le Cercle,) un cinéaste engagé et emblématique de la nouvelle vague du cinéma iranien. Ses films polémiques sur la société iranienne dérangent (la condition des femmes, les inégalités sociales). Condamné par le régime iranien en 2010 à six ans d’emprisonnement et vingt ans d’interdiction de filmer et de voyager hors du pays Jafar Panahi, qui ne peut se résoudre à ne pas filmer, contourne cette interdiction pour continuer à créer, il travaille clandestinement (Ceci n’est pas un film, Taxi Téhéran). Cette même année son sort avait fait grand bruit sur la Croisette : invité a participé au jury du festival de Cannes auquel il ne peut se rendre, sa chaise vide de membre du jury est restée au devant de la scène.

On ne peut évoquer le cinéma iranien sans parler de l’importance des femmes cinéastes – Rakhshan Bani-Etemad (Nargess, Le Foulard bleu, Sous la peau de la ville, Mainline), Tahmineh Milani (Deux femmes, La Moitié cachée), Samira Makhmalbaf, (La Pomme), Niki Karimi (Une Nuit, Le dernier sifflement), Marzieh Meshkinpour (Le jour où je suis devenue femme), Pouran Derakhshandeh, (Chut ! Les filles ne crient pas) Sepideh Farsi (Rêves de sable), Mitra Farahani, Mona Zandi Haghighi, Sara Rastegar, Manijeh Hekmat (La prison des femmes), Mania Akbari… et bien d’autres encore, sans oublier la grande poétesse Fourough Faroukhzad (la Maison noire) et Marva Nabili (La Terre fertile, 1977) – qui, depuis 1986, tentent de s’affirmer dans une société « macho-islamiste ». Elles aussi ont trouvé leur place dans le 7ème Art et l’un de leurs sujets de prédilection est de montrer diverses facettes de la condition de la femme en Iran.

DOKTAR-E-LOR (LA FILLE DE LA TRIBU DE LOR)

ABDOLHOSSEIN SEPENTA et ARDECHIR IRANI (1933, noir et blanc)

Abdolhossein Sepenta (Djafar), Rouhangiz Saminejad (Lor), Hadi

Ce premier film parlant iranien a connu un tournage difficile pour deux raisons : le rôle principal étant féminin, cela nécessitait de trouver une femme acceptant de le jouer malgré les interdits religieux ; et, tourné en Inde, tous les décors et costumes de l’Iran devaient être fabriqués sur place pour que la reconstitution soit la plus juste possible.

L’histoire commence par la rencontre dans un café, situé sur la route reliant la province du Lorestan à celle du Khouzestan, de Golnar, une danseuse de cabaret, qui tombe amoureuse de Jafar, un jeune officier du gouvernement. Golnar se confie à lui, raconte qu’elle appartient à une famille de marchands et, qu’enlevée par une bande de pillards qui ont assassiné ses parents, ces derniers l’obligent à travailler pour eux. Décidés à fuir cet enfer, Golnar et Jafar réussissent à s’échapper, mais ils sont bientôt rejoints par les bandits. Jafar tue leur chef, le couple se rend en Inde et ne retournera en Iran qu’a l’avènement de Reza Shah.

SHIRIN-O-FARHAD (SHIRIN ET FARHAD)

ABDOL HOSSEIN SEPENTA (1935, noir et blanc)

Inspiré de l’œuvre du poète persan Nezami Gandjavi (1141-1209) – Abdol Hossein Sepenta (Fahrad), Fakhr Jabar Vaziri, Iran Daftari

Ce film semi-musical, qui démontre la puissance de l’amour face aux réalités sociales, à l’argent et au pouvoir, a connu un grand succès en Iran. Des techniciens déclarent qu’il est impossible de creuser un canal reliant la montagne au palais. Farhad réussit cet exploit par amour, ce qui lui permet de rejoindre le palais où vit sa maîtresse Chirin, l’épouse du roi Sassanide Khosrou Parviz.

LEILI O MAJNOUN (LEILA ET MEIJNUM)

ABDOL HOSSEIN SEPENTA (1936, noir et blanc)

Abdol Hossein Sepenta, Fakhrozaman Vaziri

Ce dernier film d’Abdol Hossein Sepenta raconte une autre histoire d’amour célèbre. Leila et Meijnoum sont follement épris l’un de l’autre, Meijnoum, qui signifie « le fou » en persan, en arrive même à s’évanouir dès qu’il respire le parfum de sa bien-aimée. Mais leur amour s’avère impossible, ils appartiennent chacun à une tribu rivale. Cependant, rien n’arrête Meijnoum qui va suivre pendant des années la tribu de Leila jusqu’aux contrées désertiques. Abdol Hossein Sepanta (1907-1969), qui vivait en Inde depuis 1927, rentre en Iran en 1936 où il tente de monter une maison de production, mais rien est simple et, déçu par le désintéressement des gens de métiers et le manque de soutien de l’État, il décide d’abandonner le cinéma et de se consacrer à la littérature. Il reviendra au cinéma 30 ans plus tard avec un documentaire L’Automne.

BIGANEH BYA (VIENS, L’ÉTRANGER)

MASSOUD KIMIAI (1966, noir et blanc)

Behrouz Vossoughi, Frarokh Sajedi, Marina Metz, Farmarz Gharibian, Jalal

Deux frères de caractères forts différents tombent amoureux de la même femme. L’un est considéré comme bon et tendre, l’autre méchant et dur. Enceinte de ce dernier elle tente de se suicider mais elle est sauvée in extrémis par le bon frère qui décide de prendre en charge la mère et l’enfant. Le couple semble vivre harmonieusement jusqu’au jour ou le frère réapparaît. Il s’est repenti et la femme a du mal à cacher à son mari les sentiments qu’elle éprouve pour le père de l’enfant. Il n’est pas dupe. Amoureux de sa femme et désespérer, il se suicide pour que sa femme soit heureuse avec son frère. Il meurt en héros, il s’est sacrifié par amour.

GAV (LA VACHE)

DARIUSH MEHRJOUI (1969, noir et blanc, Grand Prix international des critiques à la Mostra de Venise en 1971)

Adapté du livre Azadaran-e Bayal de Gholam-Hossein Saedi – Ezatolah Entezami (Mash Hassan), Ali Nassirian, Jamshid Mashayekhi, Esmat Safavi, Parviz Fanizadeh

Il s’agit d’une histoire simple en apparence. Mash Hassan, un paysan habite à Bayal – un village complètement isolé et pauvre où les habitants vivent paisiblement – et possède un trésor : il est propriétaire de la seule vache du village, un animal auquel il voue une passion peu commune. Il s’en occupe avec un soin extrême et, quand il la mène aux champs ou à l’étang pour la laver, il a toujours peur que les Boulouris, les habitants du village voisin, la lui vole. Il existe parfois une relation mystérieuse entre l’homme et l’animal. Un jour où Mash Hassan s’est absenté, sa vache meurt et les habitants, qui lui cachent qu’elle a probablement été tuée par jalousie, lui font croire qu’elle s’est sauvée. Mais Mash Hassan n’est pas dupe, jamais elle ne serait partie sans lui. Il perd la raison et peu à peu il s’approprie la personnalité de l’animal. Le soin apporté par les villageois pour les funérailles de la vache, traitée presque comme un être humain, montre à quel point elle représentait aussi pour eux, un attachement particulier et une ressource économique importante, elle leur fournissait leur lait. Cette disparition représente aussi un deuil par les villageois, quant à Mash Hassan il ne supporte pas son absence. Son entourage inquiet l’attache à l’aide d’une corde et le conduise en ville pour le soigner. L’histoire se termine par la mort du paysan qui tombe par mégarde (peut-être a-t-il forcé le destin ?) dans un précipice. Ce film, sorte de conte philosophique et poétique, se rattache à un certain ésotérisme iranien, voire mysticisme soufi. Quand on atteint l’amour absolu, on ressent un désir de fusion et on devient un avec l’être aimé. Le film dénonce aussi les réalités du monde rural Iranien.

DOROSHKETCHI (LE COCHER)

NOSRAT KARIMI (1971)

Nosrat Karimi, Shahla Riahi, Masoud Asadollahi

Jeunes, Zinath et Gholam’Ali, le cocher, se sont aimés, cependant chacun s’est marié et a suivi sa route. Aujourd’hui, ils sont tous les deux veufs et Gholam’Ali aime, bien qu’il soit âgé, toujours Zinath. Ils décident de se marier, mais le fils de Zinath s’oppose au mariage. Ce dernier se trouve cependant dans une situation complexe, il aime la fille de Gholam’Ali. Comprenant que pour l’épouser il doit accepter que sa mère se remarie, il revient sur son refus et les mariages peuvent être célébrés.

RAGBAR (L’AVERSE)

BAHRAM BEYZAÏ (1972)

Parviz Fannizadeh, Parvaneh Ma’sumi, Manuchehr Farid, Mohammad ‘Ali Keshavarz

Dans une école de Téhéran arrive un nouvel instituteur, Mr. Hekmati. Il a une classe turbulente qui l’oblige un jour à renvoyer un élève. Le lendemain ‘Atefeh, la sœur de ce dernier, se rend à l’école pour contester ce renvoi. Elle s’adresse à l’instituteur, le prenant pour le proviseur. Un garçon s’amuse à faire courir une rumeur, une histoire d’amour serait en train de se tisser entre ‘Atefeh et l’instituteur. Tandis que ce dernier cherche à nier ces rumeurs, il se rend compte qu’il n’est pas indifférent à cette jeune femme, voire qu’il en est même amoureux. Rahim, le boucher du quartier, a prêté une maison à ‘Atefeh, non sans intérêt, il caresse l’espoir de pouvoir l’épouser et il la courtise. ‘Atefeh se trouve confrontée à un dilemme : vivre son amour pour Hekmati ou se montrer reconnaissante envers Rahim ?

GHARIBEH VA MEH (L’INCONNU ou L’ÉTRANGER ET LE BROUILLARD)

BAHRAN BEYZAI (1975, Prix Spécial du Festival du Caire 1977)

Parvaneh Massouni, Manoutchehr Farid, Khousrou Shozazadeh

Dans un petit village du bord de mer les habitants trouvent (repêchent) une petite barque avec un homme blessé répondant au nom d’Ayat. Interrogé, il ne connaît plus son nom, a perdu la mémoire et ne se souvient pas ce qui lui est arrivé, sauf que des hommes le pourchassaient avec une faucille pour le tuer, et qu’il a réussi à leur échapper. Raâna, témoin du sauvetage d’Ayat, est une femme seule depuis la disparition de son mari parti en mer et jamais revenu. Attiré par Ayat, sa famille la met en garde et lui rappelle qu’elle ne peut fréquenter un étranger sauf si il est marié à une femme d’ici. Ayat propose d’épouser Raâna, lasse d’être seule depuis longtemps. Les villageois sont mitigés, mais finalement Ayat et Ranâa se marient. Plus tard, un homme se présente au village voulant rencontrer Ranâa, Ayat s’y oppose, ils se battent et Ayat tue son adversaire. Il apprend que cet homme était le mari disparu d’Ayat. Des phénomènes étranges continuent à se produire dans le village et Ayat pense que son mariage porte malheur. Des hommes vêtus de noirs apparaissent et disparaissent, viennent-ils le chercher ? Le film met en avant les rapports entre les hommes et les femmes au sein d’une société fermée et superstitieuse, aux coutumes mystérieuses et ayant un rapport particulier avec l’étranger.

REYHANEH

ALI REZA RAISSIAN (1991)

Fatemed Motamed Aria (Reyhaneh), Majid Mozafari, Hossein Mahjub, Sorur Nejatollahi

Première love story de la république islamique. Reyhaneh, récemment divorcée, revient dans son village natal pour refaire sa vie. Appartenant à une société où elle est contrainte de vivre sous la tutelle parentale, elle retourne dans la maison familiale. Bientôt son frère, ne supportant pas sa présence, s’arrange pour lui rendre la vie impossible. Son attitude l’incite à partir chez sa sœur où elle n’est pas la bienvenue non plus, elle se réfugie finalement chez sa tante. Cette dernière aimerait la voir épouser son fils Reza. Ils semblent s’apprécier mais un ensemble de circonstances vont se mettre en travers de leurs projets. Ce film traite de façon sensible de la situation de la femme en Iran, vivant dans une société patriarcale et sans liberté, même dans les choix intimes de sa vie.

NOBAT E ASHHEGI (LE TEMPS DE L’AMOUR)

MOSHEN MAKHMALBAF (1990)

Shiva Gerede (Gazale), Abdolrahman Palay (l’homme brun), Aken Tunt (l’homme blond), Menderes Samanjilar (l’oiseleur)

Le film qui traite de l’adultère interdit en Iran, a été tourné à Istanbul. On voit trois versions successives de la même histoire avec les mêmes acteurs mais un dénouement différent. Dans le premier volet, Gazale a un amant blond cireur de chaussure. Son mari, averti de l’adultère par un vieil homme qui enregistre des chants d’oiseaux, le tue. Le juge condamne à mort le mari. Dans le deuxième, le mari est l’amant et l’homme blond le tue. Dans le troisième volet, les deux hommes renoncent à se battre pour les beaux yeux de la même femme, quant au juge il a démissionné trouvant trop ardu d’avoir à arbitrer entre la loi et le crime passionnel. À propos de son film, le cinéaste interviewé par un journaliste pour Les Inrocks, dit : « Le Temps de l’amour a été interdit. Une femme mariée qui tombe amoureuse d’un autre homme : cela posait visiblement problème. Inacceptable ! D’autre part, le fait que le juge soit en quelque sorte jugé par le film a été très mal perçu. Je pense que dans le monde il y a deux points de vue. Le premier consiste à dissocier binairement le bien du mal. Le second, plus ambigu, à dévoiler des personnages qui ne sont point constitués d’un seul bloc. D’où l’idée de plonger les mêmes personnages dans des situations différentes ».

SARA

DARIUSH MEHRJUI (1993, Prix du meilleur film au Festival de San Sebastian, Prix du public et de l’interprétation féminine au Festival des Trois Continents à Nantes)

Adapté de la pièce d’Henrik Ibsen La Maison de poupée (1878) – Niki Karimi (Sara), Yasman Malek-Nasr (Simi), Khosro Shakibai (Goshtasb), Amin Tarokh (Hessam)

Hessam, le mari de Sara, est atteint d’une maladie grave et seuls des chirurgiens capables de le soigner se trouvent en Allemagne et en Suisse. Hessam n’est pas tenu au courant de la gravité de son cas et sa femme veut trouver coûte que coûte l’argent nécessaire à ce voyage. Elle fait des emprunts et dit à son mari qu’elle a de l’argent de l’héritage de son père pour régler les frais de l’opération et du voyage à l’étranger. Après l’intervention chirurgicale son mari rentre en Iran et, guéri, il poursuit une brillante carrière et est nommé directeur d’une banque. Sara travaille en secret pour rembourser ses dettes auprès d’un certain Goshtasb, collègue de son mari, qui l’a aidée financièrement. Ce dernier, sur le point d’être licencié, demande à Sara d’intervenir auprès de son mari pour qu’il ne perde pas son travail. Si elle ne l’aide pas à son tour la menace de tout révéler à son mari, y compris qu’elle a falsifié des documents en imitant la signature de son père. La vérité va finir par éclater mais le dénouement de la situation n’est pas celui que l’on imagine… Le réalisateur a dédié son film : « À toutes ces femmes qui luttent en silence pour garder leur famille unie ».

ZIRÉ DERÂKHTÂN ZEYTON (AU TRAVERS DES OLIVIERS)

ABBAS KIAROSTAMI (1994, Prix au festival de Fajr)

Mohamad Ali Keshavarz (le réalisateur du film), Farhad Kheradmand (Farhad), Zarifeh Shiva (Mme Shiva), Hossein Bezai (Hossein), Tahereh Ladanyan (Tahereh)

Abbas Kiarostami, né en 1940, fonde avec un ami en 1969 à Téhéran le département cinéma de l’Institut pour le développement intellectuel des Enfants et des adultes. Ce sera l’un des studios les plus prestigieux d’Iran. En 1987 avec Où est la maison de mon ami ? Le cinéaste acquiert une reconnaissance en Europe. En 1997 il obtient la Palme d’or au Festival de Cannes avec Le Goût de la cerise.

À l’issu d’un tremblement de terre, une équipe de cinéma se rend dans un village dévasté au nord de l’Iran pour y tourner un film « Et la vie continue ». À cette occasion Hossein, un jeune garçon du village, est engagé comme serveur pour l’équipe et il joue également un petit rôle. Par un heureux hasard, sa partenaire est la fille de la voisine, dont il est amoureux. Avant le tremblement de terre les parents de l’élue de son cœur, s’opposaient au mariage. Après cette catastrophe, qui laisse tous les habitants sans abri, Hossein espère que les choses vont changer, que les liens entre tous vont se resserrer. Il tente auprès de sa bien-aimée d’obtenir une réponse…

RUSARIYE ABI (LE FOULARD BLEU)

RAKHSAN BANI-ETEMAD (1994)

Golab Adineh, Ezzatolah Entezami, Fatemah Motamed-Arya

Un homme d’une soixantaine d’années, veuf et propriétaire d’une vaste exploitation agricole spécialisée dans la culture de la tomate, remarque une jeune fille parmi ses employées. Il comprend qu’elle vit dans un dénuement affligeant et, pour aider sa famille, il accepte d’employer Nobar, la soeur. Peu à peu il s’éprend d’elle et, d’abord distante, Nobar comprend que ses sentiments sont sincères et une liaison commence entre eux. Quand leur romance éclate au grand jour, sa famille le somme de choisir entre sa relation amoureuse et son statut social. Il n’hésite pas et privilégie son amour. La réalisatrice traite, à travers cette histoire d’amour impossible, d’un sujet tabou dans la société iranienne. La rigueur des conventions sociales interdit à une ouvrière d’avoir une relation avec son patron.

GABBEH

MOHSEN MAKHMALBAF (1996, présenté dans la section « Un Certain Regard » au Festival de Cannes 1996)

Shaghayeh Djodat (Gabbeh), Hossein Moharami (le vieil homme), Rogheih Moharami (la vieille femme), Abbas Sayah (l’oncle), Parvaneh Ghalandari

Au sud de l’Iran vivent les Bakhtiari, une tribu nomade dont la spécialité est le gabbeh, nom d’un certain tapis tissé par les nomades Ghashgai dans le Sud-Ouest de l’Iran, et d’un artisanat en voie de disparition. On suit le travail de Gabbeh, une jeune fille qui porte le nom du tapis qu’elle tisse, et qui a pour motif sa propre histoire d’amour, trame de fond que l’on suit tout au long du film. Son père lui a interdit de retrouver l’homme qu’elle aime et durant un long voyage à pied avec la tribu, Gabbeh surveille au loin si elle n’aperçoit pas son amant qui les suit à cheval, là bas au-delà des montagnes, des rivières… Résolue à vivre sa vie, elle décide de prendre la fuite… Un très beau film qui nous plonge au cœur d’un Iran authentique où les êtres et les éléments semblent fusionner.

DAYEREH (LE CERCLE)

JAFAR PANAHI (2000)

Est-ce un film d’amour ? Non. Est-ce un film qui parle des relations homme femme dans le mariage ? En partie oui, c’est pourquoi je souhaite vous en parler car le sujet m’a particulièrement touché. Il s’agit d’un film fort et dur évoquant un cercle de femmes qui se battent pour tenter d’exister. L’une vient d’accoucher, un événement normalement heureux pour un couple. La mère de la jeune femme se rend à la maternité où elle frappe au judas pour connaître le sexe de l’enfant. Catastrophe, sa fille a mis au monde une fille. Le judas se referme comme un couperet. La jeune accouchée, sa mère et sa grand-mère savent ce que signifie avoir une fille, la mère et son bébé deviennent indésirables et sont abandonnés. Trois femmes retenues prisonnières, ont une permission. Elles partent à la recherche d’une de leur amie Pari, une autre s’évade pour se faire avorter mais, en tant que femme célibataire, elle subit la violence de ses frères qui la chasse du domicile familial. Une autre mère se voit obliger d’abandonner son enfant (une petite fille évidemment) en pleine rue la nuit. La caméra suit les itinéraires croisés et tragiques de ces femmes qui ont en commun leur courage, leur énergie et leur force. Elles se montrent solidaires pour lutter contre l’oppression qu’elles subissent de la part des hommes. Le réalisateur a voulu montrer qu’en Iran, que les femmes soient emprisonnées ou qu’elles vivent chez elle, pour elles le milieu carcéral auquel elles sont confrontées est identique. Dans cette société patriarcale elle porte le malheur, celui d’être née femme.

ABJAD (LA PREMIÈRE LETTRE)

ABOLFAZL JALILI (2003)

Medi Marady, Mina Molania, Abdolreza Abkary

Iran 1970. Emkam, qui a 14 ans et appartient à une famille très conservatrice, a l’âge de toutes les passions. Il découvre avec enthousiasme le 7ème Art, considéré comme une offense à Dieu par ses enseignants, et il tombe amoureux de Maasoum, la fille du propriétaire du cinéma de la petite ville de Saneh. Tout le monde s’oppose à ses deux passions, sa famille, les autorités religieuses, et les habitants. Bien qu’il soit difficile pour lui d’échapper à leur opposition, il décide néanmoins de vouer sa vie au cinéma. Mais la montée khomeyniste est en marche et à l’issue de la révolution islamique la fermeture du cinéma est imposée et Maasoum doit partir. Emkam désespéré part à sa recherche avec sa caméra super 8. Ce film est en fait un récit autobiographique, Abolfazl Jalili ayant lui même été : « un jeune garçon rebelle, passionné par l’art et rejetant toute forme d’autorité paternelle et religieuse » (Festival International des cinémas d’Asie de Vésoul).

NEGAD (LE REGARD)

SEPIDEH FARSI (2005)

Hamid-Reza Danechvar (Esfandyar), Fariba Kossari (Forough), Behnaz Jafari (Simine), Mohamad Hatami (Keyvan), Houshang Ghovanlou (Amir), Mohamad Assadi (Syamak), Massoud Malek-Khani (Kheyrllah), Ehssan Daneshmandi (Kian)

Après Le Voyage de Maryam et Rêve de sable, la réalisatrice Sepideh Farsi raconte l’histoire d’un amour impossible durant l’époque trouble des années 80 en Iran. Esfandyar, expatrié iranien vivant à Paris, apprend qu’il est sur le point de perdre la vue. Il décide, après vingt ans d’absence, de revenir à Téhéran. Mais les retrouvailles – entre son père mourant et Forough, la femme qu’il a aimé autrefois et qui a épousé le père d’Esfandyar – relèvent plus du ressentiment que du pardon. Le retour auprès des siens est douloureux. Il remue des souvenirs (la trahison de son père), le confronte à nouveau à son passé politique, familial et amoureux. Vingt ans plus tard personne n’y est insensible. Aujourd’hui, après tant d’années, comment affronter  ces fantômes ? L’heure est-elle au pardon, à la vengeance, au désespoir… Esfandyar se trouve à un tournant de sa vie et il semble avoir bien des comptes à régler, avant de sombrer dans le noir, dans une nuit permanente qui entraîne inévitablement un silence profond. Un beau film traité avec sensibilité et humanisme.

CHAHARSHANBE-SOORI (LA FÊTE DU FEU)

ASGHAR FARHADI (2006, Prix du meilleur scénario au Festival des 3 Continents à Nantes en 2006 et du meilleur film au Festival International de Chicago de 2006)

Hedieh Tehrani (Modjeh), Taraneh Alidousti (Rouhi), Hamid Farokh-Nejad (Morteza), Pantea Bahram (Simin), Matin Heydarnia (Amir Ali)

Nous sommes à Téhéran, en pleine fête du feu « Chaharshanbeh Soori », une tradition plurimillénaire qui se déroule à l’occasion du Nouvel An iranien. Rouhi, une jeune fille pleine de vie et sur le point de se marier, est envoyée par une agence pour effectuer quelques heures de ménage chez les Samii. Elle débarque chez un couple en pleine crise conjugale, la femme accusant son mari d’adultère avec leur voisine. Cette dispute sert d’épicentre au récit qui rebondit sur toute la famille (grand-père, enfants) et implique d’autres personnes. Rouhi découvre les facettes complexes de la vie de couple, un constat qui l’incite à s’interroger sur son propre mariage.  Elle s’immisce dans la vie du couple et s’y retrouve prise comme dans une toile d’araignée. Le film évoque plusieurs portraits de femmes aux sensibilités différentes et qui n’hésitent pas à exprimer leurs désirs. Dans l’intimité on voit leurs visages et leurs chevelures, l’une d’elle (supposée être la maîtresse du mari) est coiffeuse à domicile, un métier qui n’est pas anodin dans un pays où le voile noir est omniprésent. Le cinéaste, qui montre une attention particulière aux symboles des couleurs, nous éclaire sur leur signification en Iran : « Dans notre culture, le jaune est le symbole du doute (…) Le rouge est la couleur de l’amour alors que le rose est la couleur de l’amour timide, réservé, celui qui ne peut pas s’afficher au grand jour ».

EZDEVAJ BE SABKE IRANI (MARIAGE À L’IRANIENNE)

HASSAN FATHI (2006)

Fatemeh Goudarzi, Dariush Arjmand, Shila Khoda-Dad (Shirin), Amir-Hossein Bidgoli, Fatemeh Gudarzi, Daniel Holmes

Ce premier long-métrage du réalisateur Hassan Fathi est une comédie romantique, un genre assez peu courant dans le cinéma iranien. C’est l’histoire d’un amour interdit entre une jeune femme iranienne et un étranger, le mariage mixte restant un sujet brûlant en Iran. Shirin, la fille unique d’un homme d’affaires important du grand bazar de Téhéran, mène une vie tranquille et appartient au milieu influent de la bonne société de Téhéran. Son oncle Saeed veut la faire travailler dans son agence de voyage, un job qui ne la tente guère mais son oncle insiste. Elle finit par accepter cette opportunité de côtoyer le monde du travail. Dans l’agence, où elle apparaît engoncée dans son uniforme, elle accueille avec courtoisie les clients. Un jour, un séduisant voyageur américain vient acheter un billet pour Shiraz. Une rencontre fortuite qui déclenche un véritable coup de foudre ! Les deux jeunes gens souhaitent se marier, mais Shirin doit affronter son père et avoir son autorisation. Il refuse fermement d’accorder la main de sa fille unique à un étranger, de surcroit Américain, venant d’un pays ennemi pour les iraniens.

KÂNEH SIÂH AST (LA MAISON EST NOIRE)

FORROUGH FARROKHZAD (1963, CM)

Forrough Farrokzhad (narratrice), Ebrahim Golestan (narrateur), Hossein Mansouri (lui-même)

Ce film poignant est l’unique film/documentaire réalisée par la grande poétesse Forrough Farrokhzad. Est-ce un film d’amour ? Non, cependant j’ai fait le choix de vous en parler car le regard porté par une poétesse sur la tragédie de la lèpre vient, je crois, d’un élan d’amour ressenti par la réalisatrice qui a eu envie que ces hommes et ces femmes reclus, tenus à l’écart du monde ne tombent pas dans l’oubli. La maison est noire était une commande d’une société caritative luttant contre la lèpre. À 27 ans, Forrough se charge de la réalisation et du montage, elle en fait une œuvre aboutie, entière, simple mais éternelle, qui deviendra un film phare du cinéma d’art et d’essai iranien. Comme nous ces lépreux auraient voulu vivre librement, vivre des amours forts, mais le destin a frappé. La caméra de Forrough Farrokhzad nous fait pénétrer dans la léproserie de Babadaghi près de Tabriz pour suivre leur vie. Elle réussit un tour de force, celui de nous montrer leur vie avec un regard poétique. Les scènes et les images montrant ces visages et ces corps défigurés résonnent comme une prière adressée à Dieu. Le film est aussi une interrogation envers Dieu. Pourquoi toute cette souffrance ? Forrough à tenter en les filmant de leur restituer leur dignité, de saisir l’intensité de leurs regards, le flamboiement d’une lueur d’espoir (guérira-t-on de cette maladie un jour ?), de leurs sourires esquissés furtivement. Forrough Farrokhzad nous invite à travers ce documentaire à entrer dans le monde des lépreux et à aller, au-delà de l’image souvent insoutenable, à la rencontre de leur humanité et de leur sensibilité. La rencontre entre la poétesse et ces exclus a été tellement forte qu’elle s’est concrétisée par un acte d’amour : elle a adopté l’enfant d’un couple de lépreux.

JODAEIYE NADER AZ SIMIN (UNE SÉPARATION ou LA SÉPARATION DE NADER ET SIMIN)

ASGHAR FARHADI (2011, Ours d’or Festival de Berlin, Ours d’argent de la meilleure actrice et du meilleur acteur, César 2012 du meilleur film étranger et Oscar 2012 du meilleur film en langue étrangère. En 2016, la BBC le place en 9e position dans son classement des 100 plus grands films du XXIe siècle)

Leila Hatami (Simin, la femme de Nader), Peyman Moaadi (Nader), Shahab Hosseini (Hojat, le mari de Razieh), Sarina Farhadi (Termeh, la fille de Simin interprétée par la fille du réalisateur), Sareh Bayat (Razieh, la femme de ménage), Babak Karimi (le juge), Merila Zareh (madame Ghahraei, professeur de Termeh)

Dès le début du film le ton est donné : Simin et Nader qui, on croit le comprendre s’aiment toujours, s’entredéchirent sous le regard froid d’un fonctionnaire. Elle, qui rêve d’une vie meilleure pour sa fille Termeh âgée de 10 ans, veut divorcer (elle n’y sera pas autorisée) et partir avec elle au Canada. Lui, refuse de partir pour l’étranger, son père est atteint de la maladie d’Alzheimer et son rôle est de rester auprès de lui. Nader engage Razieh, une aide-soignante très pieuse qui cache sa grossesse, pour s’occuper de son père. Très vite elle se trouve confrontée à un problème, a-t-elle le droit de laver le vieil homme ? Pour s’en assurer elle téléphone à un conseiller religieux (étonnant dialogue). Un jour Nader rentre plus tôt et trouve son père seul, Razieh s’étant absentée. À son retour une dispute éclate et elle tombe. Transportée à l’hôpital, va-t-elle perdre l’enfant ? Nader avait-il compris qu’elle était enceinte ? Peut-il être tenu pour responsable si elle fait une fausse couche ce qui signifierait, selon la loi iranienne, coupable de meurtre ? À partir de ce moment tout bascule et l’on assiste à un étonnant dénouement, quasi kafkaïen. Razieh et Hodjat son mari, un couple modeste, Nader et Simin, de classe moyenne assez aisée, incarnent des familles d’un milieu social différent. Chaque personnage est placé face à ses propres contradictions, à un cas de conscience, à ses faiblesses voire à ses mensonges. Portraits remarquables d’êtres pris aux pièges de leurs convictions culturelles et religieuses où chacun défend ses valeurs (religion, justice), ses traditions pour l’un, le besoin d’émancipation et de modernité pour l’autre. Si la force du film est de révéler la complexité de l’être humain, elle tient aussi au fait d’inviter le spectateur à occuper la place d’arbitre judiciaire, à prendre parti pour l’un ou pour l’autre. Mais au fur et à mesure du dénouement de l’intrigue, il est envahit par le doute. Le film semble agir sur lui comme un miroir reflétant ses propres angoisses.

NOCES ÉPHÉMÈRES

REZA SERKANIAN (2011)

Mahnaz Mohamadi (Maryam), Hossein-Farzi-Zadeh (Kazem), Javad Taheri (Aziz), Dariush Asad Zadeh (Hadji), Kashef Azar (Effat)

Maryam, une jeune veuve, veut quitter l’Iran avec sa fille Sarah. Avant de partir elle se rend dans sa belle-famille où elle retrouve Kazem, son beau-frère, tout juste revenu de son service militaire, et Effat. Cette dernière connaît Kazem depuis son enfance, ils s’aiment et doivent se marier. Mais aujourd’hui adultes, toute proximité avant leurs noces leur est interdite. Soudain le grand-père meurt et, comme il avait fait le vœu d’être enterré dans un mausolée situé dans une ville voisine, Kazem, Maryam et sa fille accompagne ensemble le défunt vers sa dernière demeure. Les formalités de l’enterrement s’avèrent plus longues que prévues et le voyage se prolonge. Kazem et Maryam affichent un certain trouble à s’être retrouvés. Mais comment vivre ces instants, cette émotion partagée ? Ils envisagent alors une curieuse coutume iranienne « le mariage temporaire », une autorisation d’être ensemble dans l’intimité pour un temps limité.

NAHID

IDA PANAHANDE (2015, Prix de l’avenir au Festival de Cannes dans la catégorie « Un certain regard » 2015)

Sareh Bayat (Nahid), Pejman Bazeghi (Masoud), Navid Mohammadzadeh (Ahmad), Nasrin Babaei (Leila), Milad Hossein Pour (Amir Reza)

L’histoire se déroule dans une petite ville portuaire située aux bords de la mer Caspienne. Nahid, une jeune et jolie jeune femme est divorcée et vit avec son enfant de dix ans. Normalement, selon la loi, son fils aurait dû rester avec son père mais, toxicomane et mal dans sa peau, il a accepté de lui laisser la garde à une seule condition qu’elle ne se remarie pas. Nahid vit une vie tranquille jusqu’au jour où Masoud entre dans sa vie. Ils ne tardent pas à tomber amoureux, elle doit cacher cette liaison à son fils, à son ex mari et bien sûr à sa famille. Nahid affiche des allures de femme libre, mais elle ne l’est pas. La silhouette de Masoud, un homme d’une belle stature qui l’aime et la rassure, apparaît régulièrement et furtivement sur la plage, devenue le lieu de leur rencontre. Ils se croisent, s’effleurent, se touchent à peine, toute effusion ou étreinte leur est bien sûr interdite. La belle Nahid ne peut se refuser à aimer, elle a soif de liberté. Elle va donc avoir recours au « mariage temporaire », une étrange coutume chiite, pratiquée en Iran principalement, un peu en Irak et très minoritairement au Liban et en Syrie. Le film montre, même si aujourd’hui de nombreuses femmes sont étudiantes, journalistes et avocates en Iran, combien la femme continue dans la vie privée à subir le poids des lois islamistes et patriarcales.

 

LITTÉRATURE

La littérature persane est extrêmement riche, elle a plus deux millénaires d’existence, mais elle reste encore méconnue en France, un grand nombre d’œuvres n’étant pas  traduites, sauf pour la littérature classique (Xé-XVé s.), et la littérature contemporaine qui, si elle n’est pas frappée d’interdiction de publication, connaît une progression constante et de nombreux auteurs. Durant la période de la dynastie des séfévides (XVIé-début XVIIIé s.), la littérature est marquée par une influence « indienne », les Persans se tournant vers la cour plus libérale et hospitalière des Moghols de Delhi. Les fabuleux récits de voyageurs européens en Perse au XVIIé s. auront un impact sur les œuvres du « Siècle des Lumières » avec notamment la publication des Lettres persanes, le chef-d’œuvre de Montesquieu. Au XIXè siècle l’ouverture du pays vers l’Occident et les idées démocratiques donne un nouvel essor à la littérature persane. Dans la première partie du XXè siècle les écrivains sont le plus souvent réalistes et engagés. Dans les années trente La Chouette aveugle (1936) de Sadeq Hedayat (1903-1951) est un roman fantastique qui fascine André Breton et toute la mouvance des surréalistes. Quant à la littérature moderne elle est, depuis près de quarante ans (1979), frappée par une série de calamités, la révolution, la guerre et l’exode de l’élite du pays. Les femmes iraniennes écrivains sont aujourd’hui nombreuses, elles se démarquent le plus souvent par une littérature féminine originale apparue dans les années 1920 avec Simin Danevachar (Savoshun) et Maniro Ravanipour (Pierres de Satan, la Cœur de fer). Plusieurs auteurs en exil ou restés en Iran publient à l’étranger où ils peuvent s’exprimer plus librement.

 

Vîs o Râmin (Vîs et Râmin)

GORGÂNI (XIè siècle)

Trad. Henri Massé, éd. Les Belles Lettres, collection Unesco, 1959)

Ce roman d’amour en vers, première grande œuvre de la littérature persane classique, s’inspire d’une histoire connue à l’origine en pehlévi (langue de l’Iran pré-islamique). Vîs, selon la volonté de sa mère la reine Chadou, est promise avant même d’être conçue, au roi Maubad, d’un âge certain. Dès sa naissance elle est confiée à une nourrice qui l’élève avec le jeune prince Râmîn, frère cadet du roi, puis ils sont séparés. Plus tard, la mère ne veut plus marier sa fille à Maubad mais au frère de Vîs (selon la coutume du mariage consanguin). Maubad, furieux, lève son armée, enlève Vîs à son époux et l’emmène de force dans son royaume. Durant ce voyage Râmîn aperçoit furtivement la belle Vîs et tombe follement amoureux d’elle. Ils deviennent amants mais, traqués par le vieux Maubad, ils finissent par se séparer. Râmîn pense pouvoir oublier Vîs en épousant la princesse Gol, mais rien n’y fait, il ne cessera de l’aimer. Le vieux Maubad se meurt, Ramîn tente de la reconquérir avant de monter sur le trône. Vîs et Râmin s’unissent et le jeune couple va régner sur l’Iran. Gorgâni, avec une subtilité psychologique et un lyrisme poétique simple ou élaboré, doublée probablement de son expérience personnelle en amour, nous livre ici une réflexion sur les passions.

Le Livre des rois (Shâh-Nâmeh)

ABOL-QÂSEM FIRDOUSI

(934 -1020/1025) – (éd. A. Maisonneuve 1977)

Quand j’ai étudié la miniature persane j’ai découvert la richesse, la beauté et le raffinement des illustrations attachées à cette œuvre, la plus célèbre de la littérature classique persane. Le Livre des Rois est un long poème épique qui relate l’épopée nationale – avant l’invasion des Arabes – selon les légendes, les mythes et l’histoire de la Perse durant mille ans. La narration commence avec l’évocation du premier homme-roi, le légendaire Kaïoumors, et s’interrompt avec le dernier roi sassanide Yezdegird III. C’est sous le règne de ce dernier que l’Etat persan s’écroule, les Arabes s’étant rendu maîtres de la Perse au VIIè siècle. Cette étonnante épopée regroupe des idéaux sur lesquels repose la culture iranienne. Si Firdousi y développe la haute conception de la royauté, il aborde aussi l’histoire de l’humanité (les réformes de Zoroastre, la conquête d’Alexandre contée d’une manière fantastique etc.) et donne des descriptions de la nature. Firdousi atteint un grand lyrisme quand il évoque de nombreux épisodes amoureux, comme l’histoire du roi sassanide Parviz et de sa favorite Chirin, imitée plus tard par Nezâmi.

Cœur et Beauté ou le Livre des amoureux

FATTÂHI DE NISHÂPUR

(éd. Dervy, 1996)

Fattâhi de Nishâpur (XVè siècle), est un poète persan, auteur d’un roman célèbre qui se rattache à l’amour courtois, comme au conte allégorique. Il raconte l’histoire de Cœur et Beauté dont la quête principale est la recherche de l’Eau de Jouvence. Il s’agit d’un récit fabuleux aux personnages allégoriques dotés de traits physiques et de qualités humaines.

 

 En censurant un roman d’amour iranien

SHAHRIAR MANDANIPOUR

(éd. Du Seuil 2011), trad. de l’anglais par George-Michel Sarotte

Shahriar Mandanipour, né en 1957 à Shiraz, est un romancier, essayiste et nouvelliste qui vit depuis 2006 aux Etats-Unis où il enseigne à Harvard. La publication de son œuvre, saluée par plusieurs prix littéraires, a été interdite en Iran entre 1992 et 1997.

Le roman se situe de nos jours à Téhéran, après les élections présidentielles contestées de 2009.  L’auteur précise dans son livre : « En Iran, il existe une présomption politico-religieuse que toute proximité, toute conversation entre un homme et une femme qui ne sont ni mariés ni parents conduisent à  commettre un péché mortel (…) ils recevront ici-bas de la part des tribunaux islamiques une peine d’emprisonnement, de flagellation, voire de mort. C’est pour empêcher ces préliminaires et ces péchés mortels qu’en Iran, à l’école, à l’usine, au bureau, dans les autobus et aux réjouissances de noces, les femmes et les hommes sont séparés. Autrement dit, on les protège les uns des autres. ». Alors, selon ces lois, comment un garçon et une fille peuvent-ils se rencontrer et vivre une histoire d’amour alors que la République islamique a instauré une séparation stricte des sexes et où toute relation hors de l’univers familial est interdite ? Comment publier un roman d’amour quand la moindre allusion érotique est censurée ? Sara, étudiante en littérature à l’université de Téhéran, et Dara, ancien activiste politique devenu peintre en bâtiment, vont s’aimer malgré tout. Ils communiquent par tous les moyens dont ils disposent aujourd’hui : téléphone, ordinateur, messages codés dissimulés dans des livres empruntés à la bibliothèque, et bien sûr au cours de promenades dans les rues où ils jouent à cache-cache avec ceux qui les poursuivent…

 

Les mots sont mes armes, les femmes iraniennes et la liberté de mouvement

FARZANEH MILANI (éd. Lettres Persanes, 2012)

Trad. de l’anglais par Jalal Alavinia et Thérèse Marini

Farzaneh Milani – journaliste et chercheuse pour Carnegie Corporation (2006-2007), directrice des Études sur les Femmes et le Genre, titulaire de la chaire du Département des Langues et des Cultures du Moyen-Orient et de l’Asie du Sud, professeur de littérature persane et d’études sur les Femmes à l’Université de Virginie à Charlotsville – a reçu le Prix All University Teaching en 1998 et a été nommée pour le Prix Virginia Faculty of the Year en 1999. Elle est aussi l’auteur de Voiles et paroles : la voix émergeante des femmes iraniennes (1992)

Les mots sont mes armes, est un livre passionnant à plus d’un titre. Quand on voit le parcours de Farzaneh Milani, rien d’étonnant à ce que ces années de recherches aient abouti à une formidable moisson sur l’histoire de la femme en Iran à travers les siècles, notamment dans la littérature. Farzaneh Milani donne la parole à des femmes aux personnalités très diverses, qu’elles soient imaginaires ou réelles. De nombreux angles sont approchés, je n’en citerais que quelques uns. « La ségrégation sexuelle » a eu un impact puissant dans la littérature iranienne, elle a mis pendant des siècles la femme à l’écart : « des corps claustrés, des voix étouffées, des images encadrées ». Alors pour exister ces femmes s’adressaient au vent, aux brises : « Le destinataire de leur déclaration d’amour était personne et en même temps tout le monde ». Cependant les héroïnes des grands romans de la littérature persane classique déclarent leur amour. Écoutons.

Tahmineh murmurer son amour à Rostam :

En dehors des murs, personne ne m’a vue.

Ma voix, aucune oreille ne l’a entendue.

J’ai écouté tes histoires venant de partout

Elles sont aussi merveilleuses que les mythes.

Maintenant, je t’appartiens si tu me désires

Personne hormis poissons et oiseaux, ne verra mon visage.

Chirin, une femme cultivée, indépendante et héroïne d’une romance très populaire, représente un idéal féminin. Elle jure : « par les sept cieux que même si elle verse des larmes de sang pour l’amour de Khosrow, elle ne se donnerait pas à lui avant d’être sa femme ». Néanmoins elle parcourera, à cheval et habillée en guerrier, les vastes étendues de son pays à la recherche de son bien-aimé.

On apprend que certaines femmes ayant été mariées, peuvent avoir recours à une curieuse coutume. Quand elles se remarient elles n’hésitent pas à annoncer qu’elles sont vierges : « le coffret à bijoux est toujours intact »

Vous découvrirez aussi au fil des pages qu’en plus des rêves, les écrivains persans ont utilisé le vent, un élément qui les a toujours fasciné, comme messager ou intermédiaire dans leurs récits d’amour. Ainsi, si le vent ne s’était pas levé, Râmin n’aurait probablement pas eu l’occasion de rencontrer sa bien-aimée  : « Une brise fraîche de printemps se leva et remua les rideaux un à un sur la litière. Comme si une épée était retirée de son fourreau, ou que le soleil pointait à travers un nuage. Le visage de Vîs surgit de derrière le voile, et le cœur de Râmin devint son esclave en un regard. »

Dans cet essai Farnazeh Milani parle de femmes iraniennes d’époques plus récentes voire d’aujourd’hui : « Depuis cent soixante ans les femmes iraniennes ont lutté pour la mobilité de leurs corps et de leurs voix. Et aujourd’hui… elles sont plus mobiles que jamais, et refusent de renoncer à leurs espaces récemment conquis (…) Jamais elles n’ont été aussi présentes que dans les lieux publics et le débat public qu’aujourd’hui. (…) On peut même soutenir qu’elles ont été au cœur d’une révolution non-violente…qui a ébranlé les fondements de la société. »

Le goût âpre des kakis

ZOYÂ PIRZÂD

(1997 éd. Zulma, 2009) Trad. Christophe Balaÿ, Prix Courrier International du meilleur livre étranger 2009)

Considérée comme l’une des figures de proue de la littérature contemporaine Zoyâ Pirzâd, née d’une mère arménienne et d’un père iranien d’origine russe en 1952, est iranienne. Elle puise son inspiration dans la vie de tous les jours et dans les relations qu’entretiennent les hommes et les femmes. Bien qu’elle soit avant tout une grande nouvelliste, elle a cependant été reconnue comme un écrivain majeur dans son pays avec deux romans On s’y fera et C’est moi qui éteins les lumières (2001). Ce dernier livre lui a valu quatre récompenses en Iran dont celle du Meilleur roman de l’année. Zoyâ Pirzâd vit entre l’Iran et l’Arménie, le plus souvent à Téhéran et à propos de cette capitale, elle confiait lors d’une interview au journal Le Monde, qu’elle ne serait pas la même femme écrivain ailleurs : « La société iranienne change à toute vitesse. La rencontre des traditions et de la modernité engendre des situations contradictoires, violentes, uniques. »

Dans ce recueil de 5 nouvelles on suit l’univers chaotique de plusieurs couples. Dans la première « Les Taches », Leila épouse Ali mais leur vie conjugale se délite rapidement. La dernière nouvelle, qui donne le nom au recueil, évoque le parcours d’une vieille dame, aristocrate et veuve, qui vit seule en ville dans une grande demeure qu’elle a reçue en dot. On suit les étapes de son existence, son mariage, sa vie mondaine puis la vieillesse, le veuvage et la solitude. Son jardinier s’occupe de ses massifs de roses et de ses kakis qui poussent à profusion dans son jardin, ce qui l’incite à en offrir autour d’elle. Un jour elle en donne à son locataire et cette initiative va amorcer une subtile relation entre eux jusqu’au jour où apparaît sa jeune fiancée… Il semblerait que tout le monde n’apprécie pas le goût âpre des kakis…

On s’y fera

ZOYÂ PIRZÂD

(éd. Zulma, 2007) Trad. Christophe Balaÿ

Une belle histoire d’amour. Arezou est une femme divorcée, belle, battante et tiraillée entre sa mère et sa fille. Elle travaille dans une agence immobilière, élève seule sa fille Ayeh, et subit les exigences de sa mère qui par ailleurs méprise sa vie de femme active. Trois générations qui s‘entrechoquent au sein d’une société pleine de contradictions et de non-dits. Le jour où Arezou semble pouvoir envisager une nouvelle vie avec un autre homme, son entourage semble lui refuser ce bonheur. N’aurait-elle pas le droit d’être heureuse aux yeux de sa mère et de sa fille ? Arezou est un beau portrait de femme qui, prise dans un carcan entre ses obligations et ses aspirations, subit une pression familiale, ressent une nécessité de travailler et aspire à un épanouissement personnel.

 

CONTES ET LÉGENDES

HOMA SAYAR (éd. L’Harmattan), poète et écrivain iranienne, vit à Paris. Elle a rassemblé, à partir du fameux Livre des rois de Firdousi, les grands mythes de la mythologie persane.

Zâl, le héros aux cheveux blancs

Le chef de l’armée de Perse, Sâm-é-Narimân, rêve d’avoir un fils. Enfin ce rêve devient réalité quand son épouse met au monde un garçon du nom de Zâl. Après avoir ressenti un bonheur profond son mari est désespéré : le nourrisson est né avec des cheveux blancs, comme les vieillards. Catastrophe ! Humilié et pensant qu’il est victime d’une malédiction Sâm ordonne d’éloigner l’enfant de son palais et de le laisser aux bêtes sauvages qui errent sur le Mont Albroz. Abandonné à son triste sort le nouveau-né est recueilli par Simorgh, l’oiseau fabuleux habitant de cette haute montagne, qui l’élève avec ses petits. Les années passent et une rumeur revient à la cour, Sam apprend que l’enfant innocent qu’il a renié est vivant et pourrait être digne de monter sur le trône. Ses sujets l’incitent à demander pardon à Dieu et Sam se rend au pied du mont Albroz. Zâl ne veut pas quitter Simorgh, mais ce dernier lui explique que c’est un devoir de retourner maintenant auprès des siens. Simorgh l’emporte sur ses ailes et le magnifique Zâl arrive devant son père qui, ébloui par sa beauté, le supplie de lui accorder son amour. Zâl arrive ainsi de nouveau en son palais.

Zâl et Roudabeh

Sâm, fier, emmène son fils pour le présenter aux sages qui seront chargés de son éducation. Zâl, devenu un héros qui sait manier l’arc et l’épée, bénéficie d’une réputation bien au-delà de sa ville. Un jour qu’il chasse près de Kabol, le roi Mehrab souhaite le rencontrer. Il le reçoit en grande pompe et lui fait un magnifique présent, il lui offre des chevaux pur sang. À son retour, Zâl apprend que Mehrad a une très jolie fille, Roudabeh : « son visage est beau comme la lune. Elle a la taille d’un cyprès, et sur son cou d’argent tombent ses boucles parfumées, ses lèvres sont comme des rubis. Elle est pleine de grâce et digne d’un héros comme toi ». Zâl, ravi par la description très flatteuse de cette belle Dame, souhaite la rencontrer. Mais son devoir, se demande-t-il, n’est-il pas de mener des batailles ? Peut-il, dans ce cas, envisager de prendre femme ? Son cœur l’incite à ne pas s’interdire d’aimer et à avoir un fils digne de lui succéder. Mais Roudabeh, inquiète des rumeurs circulant sur cet homme aux cheveux blancs élevé par un oiseau, se montre réticente à cette union. Son père, l’ayant réconforté sur la personnalité exceptionnel de Zâl, réussit à la convaincre de le rencontrer. Ses servantes lui disent aussi que cet homme aux cheveux blancs élevé par un oiseau n’est pas digne d’elle, ce à quoi la princesse répond : « je ne cherche pas l’amour de Zâl pour sa beauté mais pour sa valeur et sa dignité ». Les servantes, ne voulant point contrarier davantage leur maîtresse, sont envoyées auprès de Zâl à qui elle demande de bien vouloir venir rencontrer Roudabeh, qui aimerait le prendre pour époux. La rencontre a lieu et la princesse, qui déroule sa longue chevelure, dit au prince : Ô seigneur ! Maître de mon coeur ! Soyons unis car le bonheur éternel nous attend ».

 

POÉSIE

OMAR KHAYYÂM (1048 – 1131)

Plus connu de son temps comme philosophe et savant – il a été un disciple d’Avicenne – que comme poète, Omar Khayyâm a vécu à l’époque de la cour du Seldjoukide Malekchâh. Sa célébrité en tant que poète n’est connue qu’au XIXè siècle, époque où il a commencé à être traduit dans de nombreuses langues. Il est l’auteur de Rubai’yat (quatrains) parmi les plus célèbres dans le monde :

Vivons avec ceux de l’esprit,

Car la substance de nos corps,

N’est que brise, n’est que vapeur,

Poussière et souffle passager.

 

L’éclat du clair de lune déchire le sombre vêtement de la nuit.

Bois. Il ne saurait y avoir de moment plus propice.

Jouis de la vie sans penser, car le clair de lune bien souvent

Illuminera les uns après les autres nos tombeaux.

 

Boire du vin, prendre du bon temps, voilà ma règle.

Ne me préoccuper ni de créance, ni de croyance, voilà ma religion.

A cette fiancée qu’est le monde j’ai dit : « Que veux-tu pour douaire ? »

Elle m’a répondu : «  La tranquillité de ton cœur. »

 

J’entends dire que les amants du vin seront damnés.

Il n’y a pas de vérités, mais il y a des mensonges évidents.

Si les amants du vin et de l’amour vont en Enfer,

Alors, le Paradis est nécessairement vide.

 

Le génie du millénaire, cent quatre poèmes lyriques

BABA TÂHER ORYAN ou BABA TAHIR (éd. L’Harmattan, 2010)

Considéré comme le plus grand poète soufi persan (X-XIè siècle). Bien que grand mystique, Baba Tâher Orayn n’est pas épargné par les tourments de la vie amoureuse, aussi s’adresse-t-il le plus souvent à sa bien-aimée.

3

Comme tu es loin, je n’ai pas mon cœur, ô ma belle !

Je n’ai pas envie d’une autre aimée, ô ma belle !

Je jure à ton âme que dans les deux mondes

Je n’ai de désir, ni de passion que pour toi, ô ma belle !

22

Je ne vois aucune joie dans ce monde sans toi

Je ne prends jamais la carafe de vin sans toi

Je tremble comme un saule pleureur quand je suis seul

Je ne puis me calmer un seul moment sans toi

36

L’amour a fait une flamme étrange dans mon âme

Une éternité j’en brulerai dans mon âme

Tu m’as coupé un étrange habit, ô mon amour !

Que le tailleur des morts coudra pour mon âme.

 

MOLESH-OD-DÎN SAADI

(déb. XIIIè siècle -1291 ou 1294)

Il est parmi les poètes les plus célèbres avec Firdousi et Hafiz. Saadi, qui a donné une grâce et une délicatesse extrême au ghazal d’amour, est l’auteur de deux recueils remarquables le Boustan (le verger) et le Golestân (la Roseraie).

Folie

Quelque jour, je m’attacherai, avec frénésie, à tes boucles,

Et de tes lèvres je ferai jaillir cent ivresses.

Que si tu veux me tourmenter, voici ma tête et ma personne !

Et si tu te montres fidèle à tes pieds je mettrai mon âme.

Que de repentir, d’abstinences annulées par l’amour de toi ! (…)

 

La nuit de la séparation

Seul, celui qui dans la passion de l’amour se trouve aux liens

Sait combien dure jusqu’à l’aube la nuit de la séparation.

Allons ! Je prends la voie du clos échapper à mon chagrin.

Quel cyprès serait comparable à la taille de l’être aimé ?

Qui donc transmettra mon message à l’être qui brisa le pacte  (…)

 

Bien que tu aies brisé le pacte et que tu aies repris ton cœur,

Mes yeux sont encore la proie du désir de te contempler. (…)

 

HAFIZ

(1ère moitié du XIVè siècle – 1389)

Ce poète persan est l’une des grandes figures de la cour de princes Mozaffarides de Chiraz, sa ville natale. Il a vécu à une époque où le persan se parlait en Asie sur une vaste ère géographique (Iran, Inde, Afghanistan, Mongolie, Chine) et sa poésie était connue non seulement en Asie mais aussi en Occident dès 1819 par Goethe. Les ghazals d’Hafiz chantent l’amour mystique, charnel, idéal, qui sont au cœur de ses poèmes. N’a-t-il pas écrit : « Celui-là ne mourra jamais, dont le cœur ne vit que d’amour ».

Paroles d’amour

À l’aube, l’oiseau de la prairie a dit à la fleur fraîchement ouverte :

« Ne sois donc pas si orgueilleuse, car en ce jardin, beaucoup de tes pareilles avant toi ont éclos. »

La fleur répondit en riant : «  la vérité ne m’offense pas, pourtant

Aucun amant   jamais à son aimée n’a parlé aussi durement.

Et si tu veux posséder cette coupe incrustée de gemmes et pleine de vin de rubis,

Que de perles[1] ne te faudra-t-il percer de la pointe de tes cils ! »

Jamais le parfum d’amour ne sera respiré

Par qui n’a point de sa joue balayée la poussière de la taverne.

Dans la roseraie d’Iram, la nuit dernière, l’air était suave

Et la chevelure des jacinthes s’abandonnait à la brise de l’aube ; (…)

Les mots d’amour ne sont point de ceux que l’on peut prononcer.

Sâghi, donne du vin pour abréger ce discours.

Les larmes de Hafiz ont noyé raison et patience.

Que faire ? Il n’a su garder secrète la blessure du chagrin d’amour.

 

Ghazals

1 Sans l’éclat de ton visage

Mon jour n’a plus sa lumière

Hormis la nuit la plus noire,

de la vie rien ne me reste.

 

2 Pour endurer ton absence,

nul moyen que la patience !

Mais comment patienter quand

de ma force rien ne me reste.

 

3 En Te faisant mes adieux

j’ai tant pleuré que mes yeux

Te perdant ont tout perdu :

de leur clarté rien ne me reste.

 

4 De moi Ton Image même

s’en est allée désolée,

Elle fuyait un désert :

Elle partie, rien ne reste.

5 Ta Présence tenait seule

à distance mon trépas

Aussi voilà que sans Toi

pour l’arrêter rien ne me reste (…)

Cent ghazals amoureux de Hâfez de Chiraz (éd. Gallimard 2010)

 

FARID AL-DIN ATTAR (1174 ? – 1248 ?)

Auteur de la Conférence des oiseaux, un recueil de poèmes célèbres, Attar est considéré comme l’un des plus grands poètes mystiques de la Perse

Le jeu de l’amour est nécessaire à la sagesse

Gardons bien

notre cœur,

Car il y a des voleurs

de cœur aux alentours

Paroles persanes, par Jean-Claude Carrière et Nahal Tajadod (éd. Albin Michel 2012)

 

FOROUGH FARROKHZÂD (1934-1967)

Mes recherches, pour vous présenter quelques grands noms de la poésie persane, m’ont permis de découvrir la grande poétesse Forough Farrokhzâd, considérée en Iran comme une figure majeure de la poésie contemporaine. Ayant eu une enfance relativement heureuse et une éducation sévère, Forough vit au milieu d’une fratrie. Esprit rebelle et libre, elle se distingue par sa sensibilité et son attachement à la nature. L’enfance, un pan de vie où s’exprime notre imaginaire, et notre émerveillement, est aussi le temps, très privilégié, de l’innocence. À travers sa poésie Forough Farrokhzad a la nostalgie de « ces jours là », elle recherche ce temps de l’enfance, ce paradis perdu. Très tôt elle ressent pour les faibles une réelle compassion comme elle le prouve dans son documentaire « La Maison est noire » sur la maison des lépreux de Tabriz, une expérience qui va profondément la marquer et qui va la conduire à adopter un jeune garçon Hossein. Elle ne cessera de mener un combat, un combat de femme, contre les inégalités de la société iranienne, une lutte qui va lui permettre d’avancer à la conquête d’elle-même. Son aspiration : s’affirmer comme individu libre et autonome. A 16 ans elle est amoureuse, se marie, a un enfant puis divorce trois ans plus tard. Dans son poème Le péché, très mal perçu par sa famille, car elle ose évoquer ce qu’elle ressent en faisant l’amour avec un homme, un péché dans le plaisir. Il est très rare que les femmes en Iran parlent de leur désir, du plaisir, de l’érotisme. À dire vrai, il est même impossible d’accepter qu’une femme chante l’amour :

(…) L’envie a enflammé son regard,

Le vin rouge a dansé dans le verre,

Et sur le lit doux, mon corps

Ivre de volupté sur sa poitrine a tremblé.

Emportée accidentellement à 33 ans, Forough Farrokhzad a laissé une œuvre riche et profonde ce qui lui a valu le titre – par Mehdi Akhavan-Sâlès (1929-1990) un des chantres majeurs de la poésie moderne iranienne – de « Princesse des poètes persans ». Dans une lettre écrite à l’âge de 20 ans Forough Farrokhzad confiait : « A propos du parcours que j’ai choisi dans la poésie et de l’idée que je m’en fais, je pense qu’un poème est une flamme de sentiment et qu’elle est la seule chose qui puisse me transporter vers un monde de rêve et de beauté. Un poème est beau quand le poète y projette toutes les vibrations et la ferveur de son âme ». Et elle ajoute: « Une de mes chances fut que je ne me suis jamais vraiment plongée ni dans notre littérature classique ni dans celle de l’Europe. Je suis à la recherche de quelque chose en moi et autour de moi… ». Elle voulait faire entendre sa voix.

La conquête du jardin, poèmes 1951-1965

FOROUGH FARROKHZAD

(Trad. Jalal Alavinia, éd. Les lettres persanes, 2008)

La nuit lumineuse, écrits, récits, nouvelles, entretiens, scénarios… de FOROUGH FARROKHZAD (Trad. Jalal Alavinia éd. Les lettres persanes, 2011)

Poèmes, 1954-1967 de FOROUGH FARROKHZAD (éd. Les lettres persanes,       )

[1] larmes

s