Mina

Afghanistan

* "amour" en Pashtou

" Je t'aime "
Quelques précisions sur cette langue

Le pachto, pashto, pachtou ou pachtoune (nom local :پښتو/ paṣto et paxto, selon les dialectes) est une langue appartenant au groupe indo-iranien de la famille des langues indo-européennes. Il est parlé dans le sud et dans le sud est de l’Afghanistan (dont il est l’une des deux langues officielles, avec le dari), ainsi que dans le nord est du Pakistan. Il compte environ 45 millions de locuteurs. Cette langue s’écrit au moyen d’un alphabet arabe modifié.
Le pachto est composé de deux dialectes principaux, celui de Kandahar et celui de Paktiyâ (ou de Peshawar). C’est aussi la langue administrative et diplomatique de l’Afghanistan.
Le peuple pachtoune est également présent en Iran, au Cachemire et en Tadjikistan.

Quelques références littéraires et cinématographiques

AFGHANISTAN

CINÉMA

Pour l’histoire du cinéma afghan se reporter à la langue dari, langue dans laquelle sont réalisés l’essentiel des films afghans. Les films cités ci-dessous sont en langue dari et pashtou ou pachto.

MAJASEMA HA MEKHANDAN (LES STATUES RIENT)

TORYALAI SHAFAQ (noir et blanc, 1976)

Abdula, Fatulah Parand, Zakia Kohzad, Saira Azam, Shahda

Ahmad, Nasrin et Shahla se sont connus à l’université. Nasrin est la fille d’un homme fortuné, Ahmad est pauvre, amoureux de Nasrin et sculpte des statues pour survivre. Superficielle, Nasrin rêve de rencontrer un homme riche, avec une grosse voiture et pourquoi pas plus vieux qu’elle. Ahmad tente de la convaincre des valeurs humaines, bien plus belles que celle d’un vulgaire playboy qui semble lui plaire. De plus, ce dernier tente de la séduire pour obtenir d’Ahmad qu’il sculpte des statues creuses pour y cacher du haschich ! Quand Nasrin se rend chez Ahmad, elle ne peut y entrer : une bataille éclate, la situation vire à la tragédie et on entend les statues rire…

OSAMA

SIDDIQ BARMAK (2003)

New Currents Awards au Festival International du film de Pusan en 2003, mention spéciale du jury de la Caméra d’or au Festival de Cannes 2003, Golden Globe du meilleur film étranger en 2004

Marina Golbahari (Osama), Arif Herati (Espandi), Mohamad Nader Khajej, Zobeydeh Sahar (Mom)

Siddiq Barmak, né en Afghanistan en 1962, a étudié le cinéma à l’époque où les Soviétiques, occupant son pays, lui avait attribué une bourse pour aller étudier à l’école de cinéma de Moscou où il a obtenu son diplôme. Il produit plusieurs courts-métrages et des documentaires mais, sous le régime des talibans, il lui est impossible de travailler comme il le confie : « je ne pouvais pas m’exprimer, je ne pouvais pas respirer ». À cette époque il décide de fuir son pays où il ne reviendra qu’après cette funeste période. Avec le nouveau gouvernement Siddiq Barmak dirige à nouveau l’Organisme du film afghan de Kaboul.

Si ce film ne relate pas une histoire d’amour, il est lié à des évènements qui en découlent : le mariage, être mère, mais surtout avoir un fils, et le veuvage. Le film traite de la condition de la femme, un sujet tabou, mais réel dans la société afghane sous le régime des talibans. Durant cette période il est interdit aux femmes de sortir seule, sans être accompagnée d’un homme ou d’un garçon : le chaperon étant à priori, le mari ou le fils. Les femmes n’ayant pas de mari, étant veuve, et surtout n’ayant pas de fils, comment font-elles ? Pas de solution. La seule envisageable est d’avoir le courage de manifester pour obtenir une place dans la société, pouvoir aller à l’école et travailler. Mais toutes réclamations et manifestations sont sévèrement réprimées. Le film évoque l’histoire d’une petite fille que la mère déguise en garçon pour qu’elle puisse sortir et aller trouver du travail. Dans ce contexte de peur, la fillette est terrifiée à l’idée que les talibans puissent découvrir sa véritable identité.

Quand le cinéaste a rencontré Marina Golbahari (Osama) dans les rues de Kaboul elle avait 10 ans et, à propos de cette rencontre, il confie lors d’une interview en 2010 à Univers Ciné : « Elle mendiait dans la rue (…). Son père est resté gravement estropié après avoir été battu par les talibans. J’ai été immédiatement fasciné par son regard. Quand je lui ai demandé si elle voulait jouer dans un film, elle n’a pas su de quoi je parlais. Les termes « film » et « télévision » lui étaient totalement étrangers. » Aujourd’hui elle a 25 ans, a participé au tournage de seize films, en Afghanistan mais aussi au Tadjikistan et en Iran, et elle rêve de tourner dans des films français, pays où elle a obtenu le statut de réfugiée, mais aussi où elle et son mari vivent difficilement cet exil forcé.

 

LITTÉRATURE

La littérature afghane en langue pachto est rare et peu traduite en français, cependant l’originalité de cette littérature concerne principalement la poésie.

CONTE, LÉGENDE

Rire avec Dieu

Aphorismes et contes soufis de Sayd Bahodine Majrouh

(éd. Albin Michel 2015) Trad. Serge Sautreau

Sayd Bahodine Majrouh, grand poète et intellectuel afghan réputé pour sa tolérance, a établi cette anthologie en 1897, un an avant son assassinat (voir ci-dessous à poésie). Ce recueil de contes et d’aphorismes, nous fait découvrir aux côtés des grands maîtres Attâr, Jâmî et Ibn Arabî, une quarantaine d’autres illustres soufis du XI au XVè siècle. À propos des dévots Majrouh explique qu’ils considèrent volontiers le rire comme une manifestation dangereuse, perverse et même diabolique. Pourtant, la plupart des grands soufis ont connu les vertus du rire : «  Leur humour possède une double fonction : à l’égard des hommes, il est un fluide spirituel, il fait « passer le courant »  de la sagesse et de l’humilité ; à l’égard du divin, il se révèle un canal supérieur de communication. »

Aujourd’hui si les rieurs sont méprisés par certains musulmans, ce recueil montre que ces derniers ne connaissent pas leur tradition. Un des grands attraits de cette anthologie, c’est de donner une autre vision de l’Islam.

 

Tresses et Labyrinthe

Contes pachto de Nadjib Manalaï

(éd. Ceredaf, le Centre d’Études de Recherches documentaires sur l’Afghanistan, 2001)

Un recueil de contes pashto en français suivi d’une restitution de ces contes dans la tradition générale des contes populaires de la littérature orale internationale.

 

Boud na Boud, Légendes

Contes, fables d’Afghanistan de Simonne Choukour-Wali

(éd. Ceredaf, 2003)

32 textes inédits recueillis à travers l’Afghanistan, illustrés de miniatures de Ostad Mashal et de dessins au trait de Ostad Djelal.

 

POÉSIE

La poésie afghane est très ancienne et, essentiellement orale, elle est donc éphémère. Ce n’est qu’au XVIe siècle qu’apparaissent les premiers poèmes écrits, et les auteurs les plus illustres sont Khushal Khan Khattak et Abd Al-Rahman Baba. Khushal Khan Khattak ou Khoshhal (1613-1689), un grand poète guerrier, est souvent considéré comme le poète national afghan. Au XIXè siècle cette poésie a été connue en Europe grâce à Cuthbert Edward Biddulp (1850-1899) et Henry George Raverty (1825-1906) qui ont publié un recueil de poèmes Afghan poetry of the seventeenth century (Trinity collège of Cambridge), traduit en français Sélections de la poésie des Afghans du XVIe au XIXe siècle (1862). Un ensemble de poèmes choisis dans l’œuvre de Khattak, et des textes pachtos d’origine, en langue persane.

 

ABD AL-RAHMAN BABA (1651-1709)

Rahman Baba est l’un des plus célèbres poètes de langue pachto, barde du XVIIè siècle, dont on connaît peu de choses si ce n’est qu’il se serait enfui avec un jeune garçon nommé Majnoon. On le présente le plus souvent comme un grand poète soufi, un « enfant fleur », qui chante la paix et l’amour. Peut-être est-ce ce trait de sa personnalité et son message de tolérance soufie, qui ont incité les talibans à détruire son mausolée à Peshawar en 2009. Si son tombeau, un grand lieu de vénération notamment pour les femmes, n’a pas été atteint, les alentours ont été gravement endommagés. Sa poésie s’apparente pour les spécialistes à celle de Rûmî (voir langue dari). Son Dīwān (anthologie), qui contient plus de 300 poèmes la plupart écrits dans son Pachto natal, a été largement diffusé en 1728. On a répertorié plus de 25 manuscrits originaux de ce Dīwān conservés dans les bibliothèques du monde entier (dix à l’Académie Pashto de Peshawar, quatre à la British Library et trois à la Bibliothèque Nationale de Paris : « La poésie soufie est une valeur de tolérance » dit Leïli Anvar, maître de conférences à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco) à Paris, auteur d’une biographie de Rûmî, poète mystique persan du XIIIe siècle (éd. Entrelacs).

 

JAMES DARMESTETER (1849-1894)

James Darmesteter (1849-1894), un éminent iranologue français, occupa la chaire des langues et littérature persanes au Collège de France de Paris. Traducteur en anglais de l’Avesta – livre saint du zoroastrisme (sa thèse sur la mythologie zoroastrienne est sa première œuvre majeure) sont parmi ses travaux les plus connus -, il s’est aussi beaucoup intéressé à la langue et à l’histoire de l’Afghanistan. Entre 1886 et 1887, il part pour l’Inde, une mission philologique de 11 mois, sous l’égide du ministère français de l’Éducation. Il séjourne principalement dans la région de la Frontière du Nord-Ouest du Pendjab où il étudie le pachto, non pas comme langue littéraire à partir de textes écrits, mais principalement en tant que langue vivante. Assisté de deux copistes autochtones, il transcrit les textes de chants dictés par des chanteurs populaires. À son retour à Paris, James Darmesteter publie Chants populaires des Afghans, un recueil de chansons en écriture pachto accompagnées de traductions françaises annotées. Il publie également un essai éclairé sur la langue et la littérature afghanes.

 

Chants populaires des Afghans

(Imprimerie nationale 1888-1890, Shams bookstore, 1888, réédition 2002)

Dans son recueil James Darmesteter a classé les chants populaires en cinq parties. L’une d’elle regroupe « les chansons d’amour » dont vous trouverez ci-dessous un florilège.

 

« Ballade d’Amânat le jardinier, poète habitant à Mîna » (53, p. 148)

  1. C’est douleur aiguë d’être séparé de mon pauvre cœur, il est là-bas dans la forteresse.      A quoi sert que la messagère vienne pour me conduire à ma bien-aimée ?

J’ai eu confiance en la messagère, et c’est pourquoi je n’ai pas vu mon amour ; je n’ai pas vu un instant le doux corps de ma belle aux couleurs de roses.

Je n’ai pas vu, sur son menton, le grain de beauté bleu contourné. Mon existence est de dépérir, je n’ai pas vu la vie de mon âme.

Mon cœur est prisonnier, il est avec ce fléau aux cheveux noirs.

(C’est douleur aiguë d’être séparé de mon pauvre cœur, il est là-bas dans la forteresse.)

Pourquoi de ton sein sortent des parfums de Bulgarie ?

(A quoi sert que la messagère vienne pour me conduire à ma bien-aimée ?)

  1. Je me plonge dans les larmes, ô Khârô, et toi tu vas parmi tes compagnes.

Ton orgueil est sans limite ; tu vas dans tes châteaux de marbre.

Tu es devenu le capitaine des belles, et tu vas parmi tes escadrons.

À mon attention tu vas en doubles châles d’or.

Fie-toi à moi : j’ai donné ma tête en gage à ton père, ton père à la barbe toute grisonnante…

– Je suis le médecin, pourquoi le malade va-t-il chercher des remèdes ?…

  1. J’ai fermé, comme d’un couvercle, mes lèvres rouges avec le filet de mes tresses ; j’incendie, car j’ai mos sur mon front un grain noir fripon.

J’ai en peine d’amour mis ma tête sur le visage de mon doux bien-aimé ; j’ai, d’amour, pris sur ma tête tout ce qu’on dit de mal de mon amant.

Un Péri a pris possession de mon cœur ; les charmes sont chez le Molla…

Comment de la bouche d’un mort sortiraient des paroles qui fassent le mal ?…

  1. Dans le pays de qui passerai-je le reste de mes jours ? Ô saint de Banêr, je servirai tes enfants.

Ô Seigneur, je porte ma plainte à tes favoris. L’étranger Amanât, n’est honoré que de Khair Ullah…

À présent si tu as du cœur, pourquoi quitter ton pays pour aller vers elle, ô jardinier…?

 

« Ghazal de Bahrân »

  1. Je n’ai pas eu la félicité d’être réuni à ma bien-aimée, je suis sans cesse à veiller pour elle, je péris pour elle.
  2. Ton blanc visage est un bouquet de fleurs, tes tresses noires sont un bouquet de hyacinthe ; tes dents des perles et tes deux lèvres sont de l’or.
  3. Tu habites dans la ville ; prends garde à toi Khâro ; je suis amoureux fou de toi, si tu me crois.
  4. Ton blanc visage est un miroir, tes joues du miel, tout ton corps est d’argent et reluit au soleil.
  5. Ton blanc visage est la lampe où mon cœur s’est brûlé. J’ai envahi ton seuil dès l’heure du matin.
  6. Puisque Bahrân est ton amoureux, ton éloge est tout son discours ; il est ton serviteur, si tu jettes un regard sur lui.

 

« Ballade de Hamîd Gul, poète habitant Palösa, le neveu d’Abdel Rahman » (60, p. 155-156)

  1. Est-ce le tîk sur ton front, ou est-ce l’étoile du matin ?

Es-ce une coupe de faïence de Chine, ou bien est-ce ta bouche, belle et claire ?

Est-ce de l’essence de rose, ou est-ce la sueur de ton visage ?

Sont-ce des épées d’acier, ou bien les yeux de Laila ?

Est-ce l’ivresse du vin, ou du bang du Bengale ?…

Est-ce la pierre de l’abîme ? Est-ce la fièvre ou la peste ?

  1. Est-ce ta douce parole, ou bien la saveur du sucre ?

Est-ce la cotte de mailles des soldats, ou l’anneau des tresses de ton front ?

Est-ce ta chemise brodée de fleurs, ou la robe du Vizir ?

  1. Est-ce la lune de la quinzième nuit, ou est-ce ton front rayonnant ?

Est-ce le trône sous l’empyrée, où est-ce ton portique d’or ?

Est-ce la paume de ta main ou le trône de Salomon ?

Est-ce ton…, ou le bâton de Moïse ?

  1. Sont-ce tes yeux éclatants, ou bien les étoiles du ciel ?

Est-ce la pomme de Kâbul, ou bien est-ce ton blanc menton ?

Sont-ce les plumes de paon, ou tes tresses arrangées au peigne ?

Cette saveur est le miel, ou est-ce ta bouche qui est confiture ?

  1. Est-ce un bosquet de roses, ou bien est-ce l’adorable chevelure de ton front ?

Est-ce le bulbul qui gémit, le cœur de Hamîd Gul ?

Est-ce l’épée du héraut d’armes, ou ton meurtrier cârgul

Est-ce le coq d’or, ou la Bien-aimée elle-même ?

 

« Ghazal de Majîd Shâh » (65, p. 160-161)

  1. Le malheur est sur moi, ô Seigneur ! Ma bien-aimée m’a quitté.

Sous la poussière noire s’en est allée la douce créature.

  1. La séparation a noirci mon visage ; la tombe a saisi mon amie,

Si je revoyais ma bien-aimée, la belle fête je célébrerais !

  1. Les hommes font fête qui n’ont point de deuil au cœur.

Mais moi, l’eau de mes yeux, ma poitrine est déchirée.

  1. Ma poitrine est déchirée, je pleure, jour et nuit dure ma lamentation funèbre.

Je passe toutes les nuits dans la veille ; un poignard s’est enfoncé dans mon cœur.

  1. Mon pauvre cœur est blessé, songeant à la taille, à la stature de l’amie.

Personne ne m’a pu aider ; la douleur est sur moi tout entier.

  1. La douleur est venue sur moi de tout côté et je n’ai point d’autre objet. Des fleurs s’étaient épanouies dans mon cœur et ma poitrine est un jardin flétri.
  1. Sa poitrine est un doux jardin et ses vêtements sont tous d’or.

Majîd Shâh s’en va errant, dans le deuil ; car son amie est partie en voyage.

  1. Majîd Shâh, son esclave ; vers elle va mon salam. Il accomplira mon désir, si son regard tombe sur moi, le Grand Pîr.

 

« Gazhal de Mîrâ » (66, p.161-162)

Mîrâ est l’un des poètes les plus populaires. Bien qu’illettré, on dit de lui qu’il savait par coeur une foule de chansons et que si on lui donnait une idée ou un sentiment, il improvisait une chanson. Sa chanson la plus populaire Zakhmaï, a été jouée à Ravul Pindi, lors de l’entrevue de l’émir et du vice-roi.

  1. Le chagrin pour l’amie m’a enveloppé : ô pitié ! La séparation est trop longue. Mon cœur a été brûlé de ton amour ; je ne puis me délivrer de cette malédiction. J’ai été broyé sur l’aire.
  1. Mon cœur est devenu un kabâb ; toute ma vie a été perdue en perdant ma bien-aimée.
  1. Je suis comme une fleur en plein printemps et me pâme d’aise sur les charbons ardents. Mon cœur est un tûti en cage.
  1. Un beau jour viendra où le bruit courra par le monde que Mîrâ a quitté le monde.

 

« Ghazal de Mîrâ » (70, p. 164)

Ce ghazal est la fameuse Zakmaï, la plus populaire des chansons afghanes.

Je suis assis dans l’affliction, percé des poignards de la séparation.

Elle a emporté dans ses serres, aujourd’hui en venant, Khâro, tout doux, tout doux.

Je suis toujours en lutte, je suis rouge de mon sang, je suis ton mendiant.

Ma vie est une angoisse. Mon amie est médecin ; je désire le remède tout doux, tout doux.

Son sein à la pomme, ses lèvres ont le sucre, ses dents ont la perle ; elle a tout cela ma bien-aimée ; elle m’a blessé au cœur c’est pourquoi je suis plongé dans les larmes ; tout doux, tout doux.

A toi est dû mon service ; toi songe à moi, ô mon amour, à tout jamais.

Matin et soir je suis couché à ton sanctuaire ; je suis le premier de tes escaliers ; tout doux, tout doux.

Si tu dis des vers de toi et les dis sur l’air d’autrui, tu peux t’appeler voleur. Quelque ghazal que tu dises, ô Mîrâ, loue toujours le Seigneur et mets le médisant en cage.

 

« Ballade de Nûrshalî » (90, p.190)

Quand l’amant (tûtî) dit, attendre ou aller à la marche, il s’agit de la marche de l’eau. Cette expression se rapporte aux jeunes filles qui vont puiser l’eau au puits ou à la rivière deux fois par jour, le matin et le soir ; elles sont deux et pour elles, c’est aussi l’heure des rendez-vous d’amour. Quant à l’évocation du lit rouge, c’est parce que les pieds du lit sont rouges.

 

  1. Viens en hâte le soir, ô mon amie ; je vais à la marche, tandis que tes amies vont sur la route.

–  Viens en hâte le soir, je suis ton rossignol ; les jeunes filles m’ont laissée seule à cause de toi, aussitôt que tu m ‘as appelée. Viens que je te donne ma bouche rayonnante et mes tresses échevelées.

Voici le soir, viens en hâte, ô mon amie.

  1. J’ai échevelé et dispersé mes tresses, regarde-moi. Prends mon poignet, sans craindre de reproche ; car mon père sort de la maison : assieds-toi sur ce lit rouge, tranquillement. Voici le soir, viens en hâte, ô mon amie.
  1. Assieds-toi près de moi sur ce lit rouge, je te donne mes lèvres écarlates de tout mon cœur. Ta main brise ma poitrine en toutes ses jointures, ma beauté est le jardin, et tu es le tûtâ lancé dans le bosquet.

Voici le soir, viens en hâte, ô mon amie.

  1. Ma beauté est le jardin, il y a là des fleurs d’or.

– Je n’y puis atteindre, il y a la haie de tresses, et sur ton petit menton, il y a trois ou quatre grains de beauté. Nûrshâlî désire tes lèvres délicates et savoureuses.

Voici le soir, viens en hâte, ô mon amie.

 

SAYD BAHODINE MAJROUH (1928-1988)

Sayd Bahodine Majroud, écrivain, poète, docteur en philosophie de la faculté des lettres de Montpellier, doyen de la faculté de lettres de Kaboul, est considéré comme l’un des plus grands poètes afghans. Appartenant à l’ethnie pashtoune il a, comme le dit André Velter : «  mené un combat exemplaire, humble et sans faiblesse. Affronté à l’horreur et à la barbarie, il n’est pas devenu à son tour un barbare ». Porte-parole de la Résistance afghane, Sayd Bahodine Majroud a été assassiné le 11 février 1988 – à Peshawar, au Pakistan où il s’était exilé -, en ouvrant sa porte à des inconnus. Pour lui, dans son domicile à Kaboul, l’hospitalité était une tradition. Il ne craignait pas de parler librement, même si il savait que la menace existait.

Francophile et francophone, il a laissé une œuvre majeure : Ego Monstre, un conte philosophique et politique, publié en deux volumes aux éditions Phébus (le Voyageur de la nuit (Ego monstre 1) et le Rire des amants (Ego Monstre II).

Le suicide et le chant, poésie populaire des femmes pashtounes (éd. Les Cahiers des Brisants, 1988, éd. Gallimard, 1994) – Adapté et présenté par André Velter

Dans ce recueil, Sayd Bahodine Majroud rend hommage à la femme pashtoune. Ce florilège de poésie féminine, écrite et chantée, porte le nom Landay, qui signifie « bref », un poème très court, de deux vers libres. Une expression poétique proche du Haïku japonais. La femme pashtoune est une femme soumise, à qui l’on interdit de parler d’amour, de désirs, de désespoir amoureux. Aussi exprime-t-elle ses sentiments et ses émotions à travers le Landay. Il faut, pour comprendre le déchirement de leurs chants, savoir que naître fille chez les pashtouns est une malédiction, une naissance mal accueillie, alors que celle d’un fils est une fête. La fille, plus tard la femme, est donc corvéable à merci (maternité, cuisine, corvée de l’eau, préparation de la farine, couture des vêtements, entretien du bétail au champ, installation et démantèlement du campement pour les nomades). A travers les Landays les femmes expriment leur indignation et leur révolte dans une société où l’homme dicte tout et où elles n’ont aucune place. Aimer, parler d’amour est tabou. Les jeunes n’ont pas le droit de se fréquenter, de se choisir. Les jeunes filles, dans la loi communautaire, sont des objets d’échanges entre tribus. À l’homme de décider qui elle doit épouser, et peu importe si il s’agit d’un enfant ou d’un vieillard. Ces Landays sont donc un cri ! Ils ne s’adressent pas à l’époux, surnommé par la femme pashtoune « le petit affreux », mais à l’amant, à l’homme choisi et aimé, objet de leurs rêves et surtout de leur désespoir. La femme pashtoune, privée de liberté, bannie de la société, à qui on refuse tout simplement d’aimer, a-t-elle d’autre choix que le chant ou le suicide ?

À Kaboul, le « Cercle des poétesses » crée en 2009, permet aux femmes afghanes de tenir une réunion hebdomadaire, de se rencontrer, de lire leurs poèmes et d’en parler.

Écoutons Farahnaz, une jeune poétesse pachtoune venue y déclamer :

Rappelle-moi les douleurs de l’amour.

Blesse-moi avec la lame de tes yeux noirs.

Fais couler le sang de mon cœur (…)

Nous sommes pachtounes et nous nous aimons,

Alors, sois prêt à affronter la mort et la prison.

 

Dans un article « En Afghanistan, les poétesses risquent la mort à cause des vers d’amour » (Figaro et AFP, février 2016) sont évoquées les réunions de Mirman Bahir (La Tendance des dames) qui se font dans le plus grand secret, dans une cave de Kandahar, au sud du pays, tristement célèbre pour être le berceau des talibans.  Nadia y déclame en pachto : « Comme une chandelle je me suis consumée toute la nuit, loin de mon amant ». Nadia sait qu’en écrivant des poèmes, elle aura une mort sociale assurée. Chacun de ses mots est un acte de bravoure. « Qui voudra épouser une femme qui écrit des poèmes ? » lui dit sa mère, fortement opposée à la passion de sa fille. « En général, les gens se disent : si elle écrit sur l’amour, ça doit être une femme de petite vertu. » Eliza Griswold, une journaliste et poétesse américaine, qui a réalisé des reportages sur la femme pachtoune écrit : « Les landays sont chargés de chagrin, d’amour et de colère et font mentir la notion simpliste que les femmes pachtounes ne sont que des fantômes sous des burqas bleues. » Elle s’est attachée à faire connaître l’histoire de Rahila Muska, une jeune pachtoune qui écrivait des poèmes et a fini par mettre fin à ses jours à cause des interdits familiaux. Et elle n’est pas la seule à choisir le suicide, Atiq Rahimi a dédié son livre Singué sabour, pierre de patience (Prix Goncourt 2008) à Nadia Anjuman décédée à 25 ans pour avoir voulu être poète (voir langue dari).

Les principaux thèmes évoqués à travers ces landays se rattachent à l’amour bien sûr, à la mère, à Dieu, à l’indignation patriotique, à l’illusion de la modernité, à la critique de la violence faite aux femmes, au désir de liberté… la langue et le cœur se libèrent pour parler des émois amoureux, mais les femmes ont peur, culture traditionnelle de la pudeur oblige.

 

Choix de Landays (tirés de l’ouvrage Le suicide et le Chant)

Le destin m’a donné pour époux un enfant que j’élève.

Gens cruels, vous voyez qu’un vieillard m’entraîne vers sa couche

Et demandez pourquoi je pleure et m’arrache les cheveux !

Mon amour, saute dans mon lit et ne crains rien

S’il se casse, le « petit affreux » est là pour le réparer.

Hier soir j’étais près de mon amant, ô veillée d’amour que ne reviendra plus !

Comme un grelot, avec tous mes bijoux,

Je tintais dans ses bras jusqu’au fond de la nuit.

O mon amour ! Si dans mes bras tu trembles tant,

Que feras-tu quand du clic des épées jailliront milles éclairs ?

Aujourd’hui pendant la bataille, mon amant a tourné le dos à l’ennemi.

Je me sens humiliée de l’avoir embrassé hier soir.

Mon bien-aimé, viens t’asseoir un instant près de moi.

La vie est vite le crépuscule d’un soir d’hiver qui passe.

En secret je brûle, en secret je pleure,

Je suis la femme pashtoune qui ne peut dévoiler son amour.

La nuit, la véranda est sombre et les lits trop nombreux.

Le tintement de mes bracelets, mon amour, te dira le chemin.

 

Embrasse-moi au vif éclat de la lune,

Dans nos coutumes, c’est en pleine lumière

que nous donnons notre bouche.

Attention, tiens bon, ne perds pas courage !

Comme un rameau fleuri incliné sur la tête,

Je suis là près de toi.

Viens vite mon amour que je te donne ma bouche !

Cette nuit je t’ai vu mort en songe, et suis devenue folle.

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